mercredi 14 octobre 2015

Pas que des couloirs

Un Paddock Paradise, ce n'est pas *que* des couloirs ! :)

Traduction du texte original :
"Lorsque vous créez un Paddock Paradise, n'oubliez pas d'élargir le circuit à certains endroits — pas pour brouter, mais pour de multiples activités telles que dormir, se rouler, manger, se baigner, nager, prendre le soleil, se mettre à l'ombre, boire, etc.
(Mais veillez à ne pas inclure TOUS ces éléments au même endroit. S'ils ont de la nourriture, de l'eau, de l'ombre et de quoi dormir au même endroit, il y aura peu de motivation à se déplacer sur la piste.)"
Photo de Paddock Paradise Track System.
Photo issue de la page FB Paddock Paradise Track System

dimanche 11 octobre 2015

L'harmonie avec la nature

Aux écuries, je cherche à créer un espace où les chevaux s'intègrent au sein de l'écosystème existant, sans le déséquilibrer. En d'autres termes, je cherche à faire en sorte que les chevaux vivent en harmonie avec la nature du lieu. Mais qu'est-ce que ça veut dire, au fond, "vivre en harmonie avec la nature" ? 

On dit souvent que les indiens d'Amérique vivaient en harmonie avec la nature : mais qu'est-ce que cela signifie ?

Il ne s'agit pas uniquement de suivre le cours de la nature comme si nous n'en faisions pas partie. Certes, ici il n'est pas naturel d'avoir des chevaux, ce n'est pas une espèce locale. Et quand bien même on pourrait trouver des chevaux sauvages, ils ne vivraient pas dans les mêmes conditions que les nôtres puisqu'ils ne vivraient pas confinés dans un espace restreint ; aussi large qu'on peut leur offrir, oui, mais même un très grand parc reste petit par rapport aux habitudes naturelles des chevaux.  

Notre présence a forcément un impact sur la nature, et c'est même parfaitement normal puisque nous faisons partie intégrante de la nature, nous n'en sommes pas que de simples usagers : nous sommes, nous aussi, la nature. Comme le dit Stéphane Hessel : 
"L’homme n’est pas le maître de la nature. Il en est seulement une composante."
Et nos actions font partie de la nature, la modifient, l'adaptent : comme le font toutes les espèces vivantes sur terre. Comme le prédateur en chassant, comme l'arbre en poussant, comme le lombric en modifiant le sol. Alors la première chose est d'accepter le fait que notre présence a forcément des conséquences, et que ça n'est ni "bien" ni "mal", que c'est juste normal. Ce qui ne veut pas dire que l'on peut faire ce que l'on veut sans se soucier de rien ! Mais cela signifie que la nature est ce que nous en faisons, nous, au même titre que les espèces sauvages.


Le forêt s'adapte au passage des animaux, humains, équins, mais aussi à toutes les autres espèces

La nature d'ici peut vivre sans les chevaux ; mais les chevaux d'ici ne peuvent vivre sans la nature. C'est elle qui leur fournit la nourriture qu'ils mangent, l'eau qu'ils boivent, les abris pour se protéger des intempéries. Et tout cela implique que les chevaux ont nécessairement un impact sur leur environnement
  • S'ils mangent des végétaux sauvages directement sur pied, la diversité floristique du parc s'en retrouve modifiée : certaines espèces seront plus consommées que d'autres, leur cycle de reproduction sera en partie interrompu, impacté par la consommation des chevaux. 
  • Pour accéder à l'eau du ruisseau, ils en piétinent les bords humides et instables, et remuent les couches superficielles de terre avec l'eau à chaque fois qu'ils y entrent, provoquant des modifications de l'oxygénation, de la luminosité dans l'eau, etc., et donc de la faune et de la flore aquatiques.
  • Pour boire au bac à eau on a besoin d'utiliser des accès à des canaux construits, ici le Canal de Provence p.ex., avec les conséquences que sa construction a eue sur les différentes rivières locales, la Durance notamment, et les écosystèmes associés.
  • Pour disposer de foin à volonté toute l'année, on doit consacrer des espaces entiers à la production de fourrages (qui, eux, seront produits uniquement à une saison précise, pour une année entière de consommation). Selon la conscience agro-écologique de chaque producteur, les conséquences de la culture sur les sols sera différente, mais son action ne sera jamais sans conséquence. 
  • Lorsque les chevaux sont hébergés dans un espace clos, et ce quelles que soient les dimensions de cet espace, toutes leurs déjections sont produites sur cet espace restreint : leur concentration, de même que leur composition (si elles sont chargées en divers intrants chimiques provenant, notamment, de la consommation de vermicides de synthèse), aura une influence sur la vie de la faune coprophage et sur le développement ultérieur de la flore. 
  • On entend souvent dire que les chevaux tassent le sol : en effet, même lorsqu'ils vivent dans de grandes surfaces, ils auront tendance à emprunter toujours les mêmes chemins et à stagner souvent dans les mêmes endroits (abris, lieux de nourrissage, lieux habituels de sieste, etc.). Le sol se retrouve modifié dans ces lieux, et si la végétation peur y repousser, elle ne sera plus de la même nature que là où le sol est libre du passage répété des chevaux (typiquement, le plantain s'y développera au détriment d'autres plantes nécessitant des sols aérés). 

La culture du foin modifie sols et paysages.


Vivre en harmonie avec la nature, ça signifie également avoir conscience que la nature n'est pas nécessairement un paradis immaculé dénué de tout danger. Outre les différents prédateurs que l'on peut y rencontrer (même si, certes, les grands prédateurs sont encore assez rares sous nos latitudes !), il faut prendre également en compte la présence de la faune vectrice de maladies (je pense notamment au développement constant des moustiques que l'on observe d'année en année), et de la flore toxique : loin de paniquer à la simple présence d'essences potentiellement dangereuses (érables ou certains types de chênes), il est surtout important de bien connaître chaque plante et d'être capable d'aménager l'espace afin d'en protéger les chevaux autant que possible, tout en gardant à l'esprit que la nature ne sera jamais ni un support stérile, ni un milieu dénué de dangers et d'aléas. Il faut savoir faire la différence entre d'une part le danger manifeste du développement du séneçon de Jacob et le besoin urgent d'agir pour en limiter le développement, et d'autre part le risque potentiel de surconsommation des glands de certains chênes (sans nécessairement éradiquer la présence de toute espèce de chêne dans les parcs puisque tous ne sont pas toxiques et que leur présence est bénéfique à d'autres égards).

Il existe quelques rares grands prédateurs qui eux aussi font partie de la nature.

Il faut accepter que l'on ne peut vivre dans la nature sans la modifier, mais que l'on ne doit pas considérer la nature comme un élément que l'on peut librement plier à notre guise sans limite. Nous faisons bel et bien partie de l'équilibre naturel, nous ne sommes ni des parasites ni des utilisateurs-consommateurs, mais nous sommes de simples acteurs de la nature et à ce titre, ce que nous faisons doit veiller à respecter cet équilibre qui nous maintient en vie au même titre que toutes les espèces vivantes.

Vivre en harmonie avec la nature : ni pour la dompter, ni pour l'exploiter.

L'harmonie avec la nature n'est pas donnée, elle n'est pas naturelle : elle se cherche et se construit. À l'échelle d'un troupeau de chevaux, on adapte la nature pour le troupeau lui-même, ni plus ni moins, tout en veillant à ce que le troupeau lui aussi s'adapte au milieu sans le détruire. Notre objectif n'est pas de produire au-delà des besoins propres au troupeau, nous ne sommes pas là pour produire des richesses artificielles, mais pour maintenir la richesse intrinsèque du lieu.

Participer activement au cycle de la nature, c'est y prendre notre juste place : ni plus, ni moins.

Nous sommes là pour participer au cycle de la nature. Nous modifions la nature pour y avoir notre place, pour pouvoir y vivre et y faire vivre nos chevaux. Mais nous ne cherchons pas à dominer la nature : ce que nous consommons d'un côté, nous le restituons de l'autre, en nous intégrant à son cycle. Je terminerai pour illustrer cela par une citation de Hehaka Sapa, auteur Sioux, dont les idées rejoignent étonnamment (quoique pas si étonnamment que ça en fait) ce que l'on peut retrouver dans la philosophie chinoise du Tao par exemple :
"Que suis-je pour raconter l'histoire de ma vie ? Demain je serai de l'herbe sur les collines. Et l'on peut poursuivre : demain, le bison mangera cette herbe qui lui donne vie. Et des Indiens mangeront le bison qui leur donne vie. La vie circule, n'appartient en propre ni au bison, ni à l'herbe, ni à l'Indien. Elle est leur bien commun, elle les fait frères dans la mesure où ils la partagent, comme elle les fait alliés, dans la mesure où ils se la donnent les uns les autres."